
Les possibilités d’une île : la Corse en Europe
On se rappellera de la fameuse citation de Jean-Jacques Rousseau, lui qui écrivit en 1768 à la demande de Pasquale Paoli, un projet de Constitution pour la Corse :
« Il est encore en Europe un pays capable de législation ; c’est l’île de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté mériterait bien que quelque homme sage lui apprît à la conserver. J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera l’Europe. »
Force est de constater que deux siècles et demi plus tard, ce jour où la Corse étonnera l’Europe n’est pas encore arrivé..
Terre de vacances, zone blanche sur la carte de l’Europe, terra incognita pour la plupart, certains même citant l’île d’Elbe comme lieu de naissance de Napoléon Bonaparte, la Corse est devenue une « simple destination touristique », comme tant d’autres et bien des voyageurs ne la choisissent ou ne la choisissent pas qu’en fonction d’algorithmes basés sur un rapport « qualité-prix » d’ailleurs peu favorable.
Mais il n’y a qu’à se promener sur ses côtes, pour constater que la Corse n’échappe plus aujourd’hui à la malédiction de nos temps modernes, privilégiée pour ses paysages, son climat et sa douceur de vivre, elle est tout simplement devenue une terre où l’on construit sa résidence secondaire ou la maison pour ses vieux jours, notamment pour les continentaux français qui en font leur petit paradis rien qu’à eux !
Quelle paraît bien lointaine la Corse de Paoli, théâtre de la première expérience démocratique moderne en Europe ! Clientélisme et pressions sur les votes, sont les réalités d’aujourd’hui, aux antipodes de ce dont rêvaient nos anciens !
Pourtant la Corse a bien des égards pourrait retrouver le chemin de l’Europe, exister politiquement autrement que par de très rares coups de communication ou campagnes publicitaires.
Remettre la Corse au centre de l’Europe, au moins de l’Europe méditerranéenne est possible si l’on sort d’une triste et pauvre logique comptable qui consiste à ne voir de l’Europe que des programmes financiers de Bruxelles, qui se raréfient d’ailleurs et qui sont plutôt sous-utilisés,
Il faut se donner un projet et des moyens :
Le projet est d’abord écologique, économique et social : Jusqu’à présent relativement préservée de la bétonisation, il faut mettre immédiatement un coup d’arrêt aux constructions de résidences secondaires, appartements locatifs et autres qui gangrènent de plus en plus nos rivages. Envahie par la grande distribution, il faut renverser la vapeur et soutenir à fond les petits commerçants et les petits artisans qui ont tant de peine à subsister. Connue pour la qualité exceptionnelle de ses productions agro-alimentaires, il faut multiplier les appellations d’origines et faire de notre île la Reine des circuits courts..
Jusqu’à présent région la plus pauvre de France, nous pourrions avoir l’ambition d’en faire une des plus prospères d’Europe en attirant les investissements « verts », les projets de l’ « économie bleue », en soutenant tous nos jeunes talents pour qu’ils n’aient plus l’obligation de partir, en faisant la promotion de nos innovations, de nos chercheurs, de nos entrepreneurs qui ne devraient pas n’être que des spéculateurs ..
Les richesses de la Corse sont immenses (patrimoine, forêts, eau, sous-sol, agriculture, élevage, viticulture, pêche..) . La Corse est une île riche peuplée de beaucoup de pauvres. La fin des monopoles qui l’étouffent- comme on le voit avec la prix de l’essence- libérera beaucoup d’énergies et nous conduira vers l’Emancipation écologique, économique et sociale. L’autosuffisance énergétique de la Corse est une possibilité à moyen terme si on en a la véritable volonté politique !
En 2 mots, faire de la Corse, si ce n’est un modèle, un exemple vertueux d’une île éco-compatible comme le Costa-Rica peut l’être en Amérique.
Ce sera aussi et surtout un projet politique : malgré lui ou en se servant du cadre que la France nous impose, la Corse peut faire revivre le modèle de démocratie directe, car la taille de notre population s’y prête et les nouvelles technologies de communication le facilitent grandement : référendum locaux et régionaux, consultations permanentes des citoyens, appels à propositions sur toutes le subventions pour en finir avec les petits arrangements etc..
Si l’Etat ne se prête pas au jeu, on pourra faire fonctionner cette démocratie de base en parallèle des structures de la République. La démocratie représentative est partout en crise. La Corse, gangrénée par le clientélisme ne pourrait-elle pas réinventer en quelque sorte une vraie démocratie au sens athénien, agora des citoyennes et des citoyens, élus au service du peuple et non pas peuples au service des Elus ? Cette nouvelle ambition politique de démocratie directe aidera à l’émancipation du peuple corse, préfiguration de notre marche vers l’autonomie véritable, et demain peut être une forme d’indépendance,
Dans ce projet politique, écologique, économique et social, l’Europe ne nous apportera pas seulement la reconnaissance et l’éclat, mais aussi les moyens que nous n’utilisons pas suffisamment aujourd’hui car nous n’avons qu’une compréhension administrative des procédures européennes sans leur donner de ligne stratégique.
Dans un premier temps, il faudra que la question de l’Europe, ses possibilités pour la Corse et ce que la Corse peut lui apporter, soit l’affaire de toutes et de tous, et surtout pas celle des spécialistes :
Une grande délégation pour l’Europe, dirigée par des Elus, associera en permanence les forces vives de l’île, chambres consulaires, organismes professionnels, université, syndicats, communes, jeunes, citoyens .. pour établir des plans et des projets. Elle travaillera en toute transparence à l’opposé des conciliabules de couloirs et secrets de cabinets.
Son relais à Bruxelles, le Bureau de la Collectivité, sera aussi à la disposition de toutes et tous ! Il aura pour mission principale de faire connaître en Europe les succès des Corses et les réussites de la Corse, de nouer des relations avec les autres Régions et territoires d’Europe pour multiplier les projets communs et échanges d’expériences !
Les Elus de Corse entreprendront de nouer relations privilégiées et durables avec nos voisins, Italiens, Sardes, Maltais, des Baléares et des autres pays et régions qui voudront bien échanger avec nous. Ces relations seront guidées par un seul critère : amener des projets concrets comme des échanges d’expériences en matière de santé, des actions susceptibles d’être financées par Bruxelles, des séjours de jeunes ou d’étudiants comme il y a peu l’île de Malte nous l’avait proposé.
Nos Elus, accompagnés des responsables de la société civile, se déplaceront à Bruxelles, non pas pour mendier des subventions, mais pour faire reconnaître nos droits, utiliser l’Europe pour desserrer l’étau des monopoles qui nous étouffent. Ils se déplaceront aussi à Strasbourg pour faire connaître notre projet politique au Parlement européen, ainsi qu’aux instances du Conseil de l’Europe, les seules aujourd’hui à soutenir l’usage et le développement de notre langue corse !
Nous accueillerons de nouveau des relais de l’Europe en Corse, comme il en a existé il y a encore quelques années, notamment destinés à informer la jeunesse sur les programmes et réalités de l’Europe, et actifs cette fois sur l’ensemble du territoire de notre île !
Enfin, comme l’Union européenne traverse une période de grande turbulences et s’est engagée dans une réflexion sur son avenir- avec une Conférence sur le Futur de l’Europe– la Corse, avec la participation de toutes et de tous, fera sa propre proposition en faveur d’une Europe des territoires, décentralisée, respectueuse des identités, populaire. Une Europe démocratique et éprise de libertés où les peuples seront souverains quoi qu’il en coûte et qui tournera le dos aux diktats de l’oligarchie de la finance ou du libre-échange, une Europe des circuits courts et des territoires libres et auto-suffisants mais échangeant entre eux. Une Europe qui refuserait la logique du Nord industriel et du Sud touristique ! Une Europe où les normes et les lois s’adapteront à la réalité des territoires et non pas l’inverse comme aujourd’hui . L’ambition sera de faire de la Corse l’Inspiratrice d’une nouvelle Europe qui se construit à partir des territoires et non pas à partir de Bruxelles
Si d’autres pays ou régions, territoires insulaires ou pas, veulent nous rejoindre, ils seront les bienvenus, mais nous ne laisserons pas notre vision se faire diluer dans un projet commun des îles ou des territoires qui affadirait notre message. Nous refuserons la coalition des défavorisés qui ne font que demander plus d’argent, plus d’argent à Paris, plus d’argent à Bruxelles …. Nous avons plus à apporter à l’Europe qu’elle en a à nous donner ! La Corse est très riche ! La Corse est pleine de talents ! A nous d’étonner l’Europe !
Henri Malosse
Président du Think tank européen « The VocalEurope.eu «
Ancien Président du Comité Economique et Social Européen ( CESE)