Repenser la relation franco-allemande

Repensons la relation franco-allemande !

Par Henri Malosse

Président de l’Association Jean Monnet

On évoque souvent le « couple «  franco-allemand .. Mais comme dans tous les couples, après la lune de miel, viennent les habitudes, les petites cachotteries et parfois même les trahisons. C’est ce que nous vivons depuis plusieurs années, entre une impression de lassitude et surtout des déceptions du côté français vis-à-vis d’un allié allemand qui écoute de plus en plus souvent les sirènes américaines pour ses achats, notamment d’armements !

On pourrait même parler d’un amour déçu des deux côtés :

La France qui constate que son puissant voisin, au-delà des démonstrations de fidélité bien peu convaincantes, regarde vers d’autres horizons, américain, est-européen ou asiatique, pour trouver son bonheur

L’Allemagne qui, après avoir cru un moment que son voisin « cigale » deviendrait « fourmi » comme elle, s’est résigné devant ce pays de frondeurs, de dépensiers et de superficiels..

On se souvient tous avec émotion de la grande gloire du couple franco-allemand quand le Chancelier Adenauer dînait en intimité avec le couple De Gaulle à Colombey les deux Eglises. Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt sont restés de vrais amis jusqu’à leur mort ! Le dernier « couple » fusionnel a été sans conteste celui entre le chancelier Kohl et le Président Mitterrand qui avaient de longs tête à tête très intimes, notamment à la célèbre Winstub « chez Yvonne » à Strasbourg !

Mais ces relations intimes n’étaient pas simplement au niveau supérieur des chefs d’état !

Depuis le Traité de l’Elysée en 1963, ce sont des milliers de liens qui se sont tissés entre villages, villes, fanfares, associations sportives, cellules syndicales, chambres de commerce, artisans et professions des deux côtés du Rhin,

Grâce à la géniale création, lors du traité de l’Elyséen de 1963, de l’office franco-allemand de la jeunesse (OFAJE), des dizaines de milliers de jeunes allemands et français ont appris à se connaître, à séjourner et à étudier chez leurs voisins

Comme bien d’autres, et plus que les autres car mon père avait été professeur d’allemand, j’ai effectué des séjours dans des familles allemandes, participé au jumelage entre les villes de RODEZ et de BAMBERG, en passant un mois dans cette magnifique ville de Franconie et guidant un peu plus tard une dizaine de jeunes en Aveyron pendant un mois.

j’ai pu aussi, alors que le programme ERASMUS de l’union européenne n’existait pas encore, faire deux semestres d’études à l’ « Institut für Politik » de Munich grâce à l’office franco-allemand de la jeunesse de Ludwigsburg.

Ce sont nos deux cultures qui ont aussi commencé à s’entremêler, la chaîne ARTE fut ainsi crée,

A partir des années 1960, l’apprentissage de l’allemand s’est nettement popularisé en France, et pas seulement dans les régions frontalières de l’est, notamment en Alsace, traditionnellement germanophone, mais un peu partout dans l’hexagone jusqu’à la Corse ! L’Allemand est devenu la deuxième langue étrangère étudiée en France, devant l’espagnol, l’italien ou le Russe ! En Allemagne également, un véritable engouement est né en faveur de la France et de la langue française : Il n’est pas rare de rencontrer des allemands de ma génération parlant un très bon français ..

Dans les années 1980 encore, le plus grand nombre de mariages entre Français et étrangers européens . .étaient les mariages mixtes franco-allemands . (en majorité d’ailleurs entre une allemande et un Français.. va savoir pourquoi ?.. )

En écrivant ces lignes, il me semble parler d’un temps révolu depuis bien longtemps !

Aujourd’hui le président Macron converse avec Angela Merkel [1]en anglais et cela sera sûrement la même chose avec son successeur ! Autres temps, autres mœurs ! Quand les élites françaises et allemandes se rencontrent, elles utilisent une « mauvaise » langue de Shakespeare  ! Les jeunes baragouinent aussi leur anglais de série américaine et ils sont de moins en moins nombreux à faire l’effort d’apprendre une autre langue !  Les jumelages qui foisonnaient au plan local  se sont pour la plupart éteints ou endormis. Il y en a bien encore quelques-uns qui subsistent mais sur un mode mineur et plutôt symbolique !

Où est passé l’enthousiasme d’antan qui faisait que des jeunes, des retraités, des musiciens, des sportifs, des choristes, etc.. se faisaient des amis de l’autre côté du Rhin !

Je reste persuadé que toutes ces relations humaines nouées entre les années 60 et 80 ont fait bien plus pour la réconciliation franco-allemande que tous les Sommets, Conseils des Ministres mixtes et autres réunions qui se sont multipliés au sommet entre nos deux pays au cours de ces dernières années mais sans apporter l’élan et l’enthousiasme des débuts !

Je voudrais ici en fait suggérer, d’abord que nos deux pays relancent la dynamique de nos relations au niveau local, villages, villes, chambres consulaires et tissu associatif,

Mais on sent bien que, comme pour des histoires de couple, le réchauffé » peut avoir du mal à prendre ! Alors, je voudrais revenir à une idée qui me trotte depuis longtemps dans l’esprit !

Et si nous étendions cette relation privilégiée à d’autres partenaires ?

Je pense d’abord aux voisins de l’est ! dès 1991, l’Allemagne et la Pologne ont convaincu la France de rejoindre un « triangle de Weimar »  entre les 3 pays .


Cette initiative, très soutenue par le Chancelier Helmut Kohl à l’époque, ne rencontra jamais beaucoup d’enthousiasme du côté de Paris. Alors que les Allemands y voyaient un lien symbolique entre 3 pays marqués par les ravages du nazisme, de la seconde guerre mondiale et de l’occupation soviétique, Paris n’y a jamais marqué un réel intérêt .  Helmut Kohl, qui voulait aussi une réconciliation Est-Ouest, voyait la relation franco-allemande comme un modèle pour la réconciliation germano-polonaise . Il proposa ainsi d’étendre l’office de la jeunesse à la Pologne, d’élargir les jumelages . Paris fit la « sourde oreille », ce qui, d’une certaine façon aussi amorça la baisse d’intensité de la relation franco-allemande car il était évident que l’Allemagne réunifiée  allait se tourner davantage vers l’Est.  Y associer la France davantage aurait été une occasion en or pour notre pays, une occasion de plus ratée par nos élites parisiennes qui connaissent si mal l’histoire et la géographie de l’Europe !

Paris n’y a vu qu’un dispositif diplomatique de plus, qui continue d’ailleurs mais sans aucun éclat..

Mais alors que la Pologne, et plus largement les pays d’Europe centrale et orientale, ceux du pacte de Visegrad, s’éloignent, doucement mais sûrement d‘une Union européenne qui les réprimande sur leurs choix de civilisations, ne serait-il pas temps de relancer des jumelages à partenaires multiples, non seulement entre Polonais, Allemands et Français, mais aussi entre nous tous citoyens européens ! L’ « Europe d’en haut » ne fera jamais plus rêver les citoyens de toute l’Europe comme le fit en son temps la réconciliation franco-allemande !

Il est temps ici de rappeler la formule célèbre de Jean Monnet :  « Nous ne coalisons pas des états, nous Unissons des Hommes »

Henri Malosse

Président de l’Association Jean Monnet


[1] Tandis qu’Angela Merkel et Wladimir Poutine ont le choix entre le Russe ou l’Allemand pour s’entretenir sans interprètes !

Publié par HenriMalosse

Européen engagé et libre - Enseigne l'histoire de l'Europe - Chairman of TheVocalEurope -30ème Président du Comité Economique et Social Européen (2013-2015)

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